(FICTION) La pluie tombe sans cesse, indifférente aux hommes. Et qu’importe les autres quand tout m’est anodin. Midi vient de sonner, et je n’en est que faire. Je préfère le calme de ma chambre dorée. Le rythme lent des gouttes sur la vitre embuée me berce gentiment. Ephémère bien-être qui réveille mes songes, qui embrase mes sens. Moi l’incomprise fille, idole des ados, au talent surnoté, je ne veux plus paraître. Alice la si lisse rejette le passé.
Le couvre-lit défait libère les draps blancs, qui me prennent en écrin. Je m’y love à souhait, m’y retourne sans cesse, en toute nudité, sans aucune pudeur, libre de mes mouvements. Je suis seule et j’adore. Je m’aime et me retrouve. Adieu gens de nulle part, de partout et d’ailleurs, qui volaient mes soirées, s’abreuvant d’un talent qui m’était étranger. Adieu hommes de peu qui jouaient de mon corps, en toute indifférence, seulement dans le noir, pour en faire un souvenir, abusant de ma vie.
Je m’aime et me retrouve, face à la glace sage, sous la lumière douce d’une lampe voilée. Miroir, o beau miroir, comme tu me comprends. Comme tu me respectes. Moi qui n’ai rien connu, sinon le superflu, l’inutile et l’horreur d’une vie d’artifice.
Je m’aime et me découvre. Mes mains aventurières explorent ma peau blanche, et ses moindres replis, s’attardent sans frémir là où, en d’autres temps, d’autres s’y acharnaient au mépris de ma chair.
Mes mains m’aiment à loisirs, et me le rendent bien. J’aime qu’elles s’échappent, frôlent mes petits seins, dressant leurs pointes roses, unique dominante d’une poitrine absente. J’aime quand mes doigts fins glissent sur mon nombril, pour me donner l’amour.
Nul homme ici n’a pu me donner tant de joie, ne sut si bien y faire. La glace ne ment pas. Mon visage extasié prouve tout mon bonheur. Je m’aime et mes mains m’aiment. Mes mains tendres et souples, source de tant joie, et de tant de succès que je ne veux plus miens.
Mains d’or et profil bas, disait un père idiot. Laideron anémié sauvé par ses phalanges, écrivit un matin un plumitif amer, qui passa par mon lit et ne se remit pas d’avoir été séduit. La chose est entendue, voulue et amplifiée. Les affiches s’empilent, et disent la même chose, ritournelle imbécile, pour marquer les années d’une gloire abhorrée. Silhouettes et lettres d’or, même pas un visage, et c’est peut-être mieux. Je ne veux plus les voir. Ils ne m’entendront plus.
Le temps s’est arrêté, le concert est fini. Que tout le monde sorte. Mes mains jouent pour moi seule un hymne à l’infini, improvisant sans cesse pour mon seul agrément. Mon corps est leur clavier, plus doux que l’ébonite, plus fou qu’un piano droit. Je suis leur seul public, et leur seul instrument. Quoi de plus réussi ?
Pour elles autant que moi, puisse qu’en harmonie la vie soit symphonie, et jamais achevée…